par Camille Loubignac


Du 30 novembre au 11 décembre 2015, la France accueille à Paris la 21e Conférence des Nations Unies sur le Climat (
Conference of the Parties en anglais, ou COP). Qu’est-ce que la COP21, et en quoi cette conférence représente-t-elle un réel défi pour la France et la communauté internationale ? 

La Convention-Cadre et ses COP

Les conférences COP réunissent chaque année 196 parties — 195 pays et l’Union européenne, signataires de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Adoptée en 1992 lors du Sommet de la Terre de Rio, cette convention a pour mission de coordonner l’action internationale afin de stabiliser les émissions anthropiques de gaz à effet de serre à un niveau qui ne dérègle pas le système climatique. Les COP représentent l’organe exécutif de la CCNUCC — elle-même dépourvue d’engagement juridiquement contraignant. Depuis 1995, les parties se rencontrent chaque année pour examiner leurs engagements contre le réchauffement climatique, et les renforcer. Ces engagements suivent le principe d’une “responsabilité commune mais différenciée”, s’adaptant ainsi aux moyens individuels de chaque partie.

Une compréhension des dangers du réchauffement climatique

La CCNUCC a été créée sous l’impulsion du premier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ou GIEC, paru en 1990. C’est un organisme scientifique créé en 1988 par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Le GIEC a pour mission de “présenter au monde l’état actuel des connaissances scientifiques sur les changements climatiques et leur incidence potentielle sur l’environnement et la sphère socio-économique” (site internet du GIEC).

Dans les années 1990, les scientifiques ont commencé à mesurer précisément l’impact des activités humaines sur le climat ainsi que les risques liés à ces changements. De nouveaux instruments ont permis d’observer une stabilité et cyclicité dans les climats du passé, mais aussi des ruptures sans précédent au cours des quelques dernières décennies. Le dernier rapport du GIEC (2013/2014) démontre une forte corrélation entre réchauffement climatique et émissions anthropiques de gaz à effet de serre depuis la période industrielle.

En effet, l’accumulation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère entraîne une perturbation du bilan radiatif de la planète. Afin d’éjecter de son atmosphère l’énergie en surplus, la Terre émet un “rayonnement obscur” qui augmente la température globale : c’est l’effet de serre. Cet effet accélère la fonte des glaces et l’évaporation des océans, et favorise l’intensification d’événements extrêmes tels que les typhons, moussons, ou sécheresses. Par ailleurs, la végétation et les océans saturent en absorption de gaz à effet de serre, qui provoquent désertification et acidification des eaux. Ces perturbations du naturel et du vivant entraînent l’aridité des sols, des inondations, la salification des eaux douces et des évènements climatiques extrêmes qui menacent directement la survie des espèces, dont l’homme, de par le problème d’accès à l’eau et à la nourriture. La montée du niveau des mers, que les prévisions établissent à un mètre d’ici 2100 si le réchauffement continue au rythme actuel, menace directement 400 millions de personnes vivant sur les littoraux.

Historique des engagements internationaux

Prenant conscience de ces dangers, et suite au deuxième rapport du GIEC (1995) qui démontre l’influence certaine de l’activité humaine sur le climat, le premier accord-cadre de la CCNUCC est adopté lors de la COP3 de 1997, à Kyoto. Il s’agit du Protocole de Kyoto, entré en vigueur en 2005. Il est aujourd’hui ratifié par presque toutes les parties, à l’exclusion remarquée des Etats-Unis. Ce Protocole fixait des taux juridiquement contraignants de réduction des gaz à effet de serre pour les pays industrialisés à l’échéance 2012 : entre -8% et +10% par rapport aux niveaux individuels de 1990, chaque pays ayant un engagement adapté à sa situation et ses moyens, pour une réduction globale fixée à -5.5%. Trois instruments furent mis en place pour atteindre ces objectifs : le commerce d’émissions, le mécanisme de développement propre (crédits acquis par le soutien à des projets d’énergie propre dans les pays en développement) et l’application conjointe (crédits acquis par des projets communs). Cependant, seuls les pays industrialisés s’engagèrent à des réductions; certains pays alors non-industrialisés tels que la Chine, l’Inde ou encore le Brésil n’étaient donc pas concernés, alors qu’ils comptent désormais parmi les principaux émetteurs de gaz à effet de serre — c’est le paradoxe qui découle de ce “système à deux échelles”. Ainsi, avec l’absence des Etats-Unis, les pays concernés par Kyoto ne représentaient donc qu’un tiers des émissions globales de gaz à effet de serre.

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En 2009, la COP15 de Copenhague devait créer un nouvel accord-cadre, pour remplacer le protocole de Kyoto qui devait expirer en 2012. Ce fut un échec : les parties ne parvinrent pas à s’accorder, notamment en raison du différend entre les pays développés, responsables historiques du réchauffement climatique qui souhaitaient cependant un engagement de tous, et les pays émergents, qui refusaient de limiter leur croissance. Par ailleurs, les Etats-Unis, la Chine et la Russie s’opposèrent à tout accord contraignant. Néanmoins, l’objectif fut fixé de limiter le réchauffement climatique dû aux émissions anthropiques à deux degrés d’ici 2100, par rapport au niveau pré-industriel du milieu du XIXe siècle. D’autre part, les parties s’engagèrent à créer un fonds (le “Fonds Vert”) destiné au financement public et privé de projets d’adaptation des pays en développement ; et se fixèrent pour objectif d’atteindre un total de 100 milliards de dollars annuels de dons et prêts consacrés au climat d’ici à 2012.

Comme les objectifs de Kyoto n’étaient pas atteints en 2012, le protocole fut prolongé au dernier moment jusqu’en 2020, lors de la COP18 à Doha. Le système “à deux échelles” inchangé, les pays concernés ne représentent aujourd’hui que 15% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. De plus, aucun accord ne régit la communauté internationale pour l’après-2020.

Objectifs de la COP21

En raison de l’importance de la COP21, la France fut le seul pays candidat pour la recevoir, prenant le risque de porter un éventuel échec des négociations. Deux principaux objectifs sont donc fixés pour la COP21 :

1) Réduction des gaz à effet de serre :

Les parties doivent s’engager sur un accord chiffré contraignant pour l’après-2020 (après Kyoto) afin de limiter le réchauffement global à deux degrés d’ici à 2100 par rapport à l’ère pré-industrielle (un objectif fixé à Copenhague), et définir les moyens d’y parvenir. Cet accord devra élargir le cadre et la portée de Kyoto, qui ne concernait que le tiers des émissions mondiales (phase 2005-2012), puis seulement 15% (phase 2013-2020). Le nouvel accord devra abandonner le système à deux échelles de Kyoto (action seule des pays industrialisés) afin d’inclure tous les pays par des engagements différenciés. La dimension contraignante sera particulièrement épineuse, car certains pays, comme les Etats-Unis, s’opposent à la prééminence du droit international sur le droit national.

2) Financement solidaire :

Les parties doivent valider les premiers projets du Fonds Vert, qui a rassemblé plus de 10 milliards de dollars depuis son entrée en vigueur en 2014. Par ailleurs, les parties devront définir les moyens d’atteindre l’objectif de 100 milliards de prêts et dons annuels d’ici 2020 (objectif de Copenhague). Une option évoquée pour l’Union Européenne est la mise en place d’une taxe européenne sur les transactions financières.

La COP21 est en préparation depuis 2011, date à laquelle une plateforme de négociation visant à préparer un accord-cadre contraignant pour l’après-2020 a été mise en place lors de la COP17 à Durban, en Afrique du Sud. Les parties ont rendu, fin 2015, le détail de leur contributions individuelles prévisionnelles pour la lutte contre le changement climatique (Intended Nationally Determined Contributions en anglais ou INDCs) auprès de l’ONU. Toutes ces contributions, compilées dans un rapport de synthèse, permettront d’évaluer l’impact global des efforts différenciés sur la limitation du réchauffement climatique. Les 28 membres de l’Union européenne, la Chine, l’Inde, la Russie, les Etats-Unis et le Japon, qui comptabilisent 85% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ont déjà déposé leurs contributions, qui peuvent être consultées librement en ligne.

Objectifs réalisables?

Pourtant, dans son dernier rapport (2013/2014), le GIEC se montre sceptique sur les mesures mises en place par les pays pour atteindre l’objectif ambitieux de limite du réchauffement à 2°C : celui-ci fixe un plafond d’émissions cumulées en gaz à effet de serre à horizon 2100. Or, les deux tiers des émissions du taux plafond ont déjà été émis aujourd’hui. Cet objectif implique donc aujourd’hui de diminuer les émissions de CO2 par personne à 0.5 tonne, ce qui équivaut à diviser par 4 les émissions moyennes d’un Européen et par 10 celles d’un Américain. De plus, si l’on considère que la population aura augmenté d’un tiers d’ici 2100, la division montera jusqu’à 13.

Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) émet en 2010 un rapport dénonçant le fossé entre les objectifs et les directions prises au niveau des émissions. Selon ce rapport, les gouvernements doivent accentuer le contrôle de la mise en œuvre des engagements et limiter les failles dans la comptabilisation des émissions (comme par exemple la comptabilisation trop “souple” des émissions issues de l’exploitation des terres) et dans la répartition des crédits de pollution. Le PNUE rappelle que plus les mesures seront retardées, plus elles seront onéreuses.

Les engagements de 2015 seront donc essentiels pour tenir nos objectifs à 2100, et  devront être non seulement ambitieux — tout en demeurant réalisables — mais, surtout, mis en œuvre par chaque partie.

Featured Image Credit: CC FNSP. Sciences Po – Ceri et Atelier de cartographie, 2014 in CERISCOPE Environnement, 2014