Par Étienne Lepers

Crise du capitalisme mondial, bouleversements dans la zone euro, récessions: le monde occidental est en crise et tous les regards se tournent vers l’Est et le Sud qui affichent des résultats économiques fascinants. L’économie chinoise clôtura l’année 2011 avec un taux de croissance moyen de 9,2%. Aujourd’hui la Chine finance l’Europe, la Chine s’implante en Afrique, la Chine semble partout. Le président Obama, en difficulté dans le Moyen Orient, a ainsi tourné sa politique étrangère vers l’Est et en particulier vers le géant asiatique. Et les thématique et rhétorique sur la “menace chinoise” sont désormais omniprésentes.  La santé de l’économie chinoise et la force de son capitalisme attirent les craintes mais surtout les convoitises. Au point que l’on parle de facto d’un “modèle chinois” ou d’un “consensus de Pékin” par opposition au consensus de Washington.

Qu’est-ce réellement que ce modèle ? Sur quoi se fonde-t-il et est-il transposable ?

Le caractère étatique de la puissance chinoise

La Chine reste la “Chine-Etat” selon le concept d’Yves Chevrier. L’Etat est l’acteur n°1 et les surplus commerciaux appartiennent véritablement à l’État: un néolibéralisme chinois avec des entreprises privées est donc une vue de l’esprit.

C’est à un fond souverain étatique auquel l’Europe a fait appel au cœur de la crise.

C’est l’Etat qui s’est converti au capitalisme et non la Chine elle-même.

Cet Etat est à la fois maitre de sa devise mais aussi propriétaire de la masse des capitaux.

A l’heure actuelle se développe ainsi une apologie du state directed capitalism ou capitalisme d’état. On prône l’autoritarisme de marché face aux démocraties libérales. Les géants économiques sont des champions nationaux, ils se nomment Gazprom, China Mobile, China National Petroleum ou encore Sberbank. Et tous sont pilotés par l’état en tant qu’actionnaire majoritaire la plupart du temps.

Des pays démocratiques comme le Brésil ont aussi fortement investis pour prendre des parts dans toutes les plus grandes entreprises du pays. Malgré tout, c’est bien le caractère autoritaire qui fonde le modèle chinois.

L’attrait du Going Capitalist, Staying Autocratic

Les théories du capitalisme d’état ne sont pas nouvelles, elles ont été utilisées par de nombreux pays européens au cours de leurs périodes de croissance économique, notamment l’Angleterre avec la East India Company mais aussi lors des révolutions industrielles.

Par la suite Lee Kuan Yew va, à Singapour, lier clairement autoritarisme et croissance économique. Selon lui, un régime dirigé de main de fer est préférable pour le développement économique: d’où le succès de son pays. Et ce type de régime a de plus des racines dans des valeurs asiatiques qui sont réaffirmées: discipline, famille …

Mais c’est bien l’expérience chinoise qui en fournit la meilleure illustration. C’est la possibilité pour un pays moyen d’émerger à l’échelle mondiale assez rapidement, sans changement de régime ni d’idéologie. Avec une stabilité due à l’absence de la “cacophonie de la société civile”.

L’Iran et la Syrie ont publiquement affirmé qu’ils espéraient reproduire le modèle chinois et le Vietnam, la Birmanie et le Cambodge ont envoyé des experts en observation. De plus, dans une étude de 2008 dans 20 pays différents, le PIPA: (Program on International Policy Attitudes) souligne que les deux leaders les plus “efficaces” du monde d’après l’opinion publique sont Hu Jintao et Vladimir Poutine.

La dimension unique et spécifique de l’expérience chinoise

Mais ce modèle n’est pas transposable. De nombreuses notions ont été construites pour le décrire: Consensus de Pékin, modèle de l’Asie de l’Est, Chinese Model. Toutes ont leurs limites et sont, de plus, rejetées par le Parti qui les trouvent dangereuses pour sa politique étrangère. En fait l’expérience chinoise est largement unique et spécifique. Il faudrait mieux parler de “cas chinois”.

Celui-ci prend tout d’abord largement ses racines dans la période maoïste. Pour de nombreux chercheurs, le miracle économique de Deng Xiaoping n’aurait pu se produire sans les bases posées par Mao. Ensuite il doit beaucoup aux variables uniques chinoises: culturelles, démographiques géographiques et de philosophie de gouvernement. Ainsi le cas chinois est non réplicable. Il peut néanmoins inspirer et sert d’exemple pour de nombreux pays.

Un système- remède à l’heure actuelle ? Un système soutenable ?

Du point de vue strictement politique déjà, ce modèle a des effets pervers. Beaucoup pense que le PCC n’a pas d’autres alternatives qu’une plus grande démocratisation s’il souhaite encourager la croissance économique et maintenir la stabilité sociale (Dans ce sens-là et pas seulement comme conséquence des revendications d’une population mieux éduquée). Hutton dans un ouvrage récent arrive à la même conclusion: “les systèmes sociaux, la liberté d’association, le gouvernement représentatif, et les droits de propriété renforcés ne sont pas de simples options. Ils sont centraux dans la capacité d’une économie capitaliste à grandir en maturité”. De même une libéralisation bien plus grande de l’Internet offrirait des répercussions très favorables sur l’économie et la croissance.

En effet et en définitive, le plus gros échec du state capitalism est, comme l’énonce The Economist, la liberté. “En transformant des entreprises en organes de gouvernement, le capitalisme d’Etat concentre le pouvoir et à la fois le corrompt.”

Les optimistes diront que peut-être la transition au pouvoir de 2012 sera vectrice de liberté. En attendant les chantres du capitalisme d’Etat, même dans les démocraties,  trouvent oreilles attentives …

Cet article a été publié pour la première fois le 30 janvier 2012.