Entretien avec Anne-Céline Okonta, chargée de sécurité des missions à Action Contre la Faim

Par Guillaume Signorino

L’assassinat du travailleur humanitaire britannique David Haines par l’Etat Islamique est une illustration récente des menaces qui pèsent sur les ONG internationales opérant dans des conflits à haut risques. Comment une ONG prend-elle en compte ces menaces ? Doit-on négocier avec des groupes terroristes ? Les travailleurs humanitaires s’exposent-ils à trop de risques ? Anne-Céline Okonta, chargée de sécurité des missions à Action Contre la Faim (ACF) a accepté de répondre aux questions du Paris Globalist.

En quoi consiste votre métier et pouvez-vous nous en dire plus sur le concept de la sécurité dans l’action humanitaire ?

Ma mission principale est de permettre aux travailleurs humanitaires d’ACF de travailler en sécurité lors de leurs interventions dans des contextes difficiles. Pour cela mon équipe et moi-même effectuons des analyses de risques, nous formons ceux qui partent sur le terrain et nous leurs imposons un certain nombre de règles et de consignes afin qu’ils ne s’exposent pas à des risques trop importants.

En humanitaire, on distingue les concepts de sécurité et de sûreté. La sureté fait référence aux risques accidentels auxquels peuvent s’exposer les travailleurs humanitaires : accidents de la route, évènements climatiques. La sécurité, elle, fait référence aux menaces extérieures intentionnels, aux agressions.

La sécurité des ONG travaillant dans des pays à risques repose sur 3 piliers : l’acceptation, la protection et la dissuasion. L’acceptation consiste à dialoguer avec les populations, les autorités et les groupes potentiellement dangereux pour que l’action de l’ONG soit tolérée et que les travailleurs humanitaires ne soient pas pris pour cible. La protection représente l’ensemble des mesures physiques qui permettent de se protéger d’éventuelles agressions : gardiens, murs… Enfin la dissuasion consiste, par exemple, à menacer de partir si la situation sécuritaire devient trop instable. Les 3 composantes sont utilisées en adéquation avec l’analyse des risques faite dans une contexte donné et l’acceptation est le mode auquel les ONGs ont le plus souvent recours.

Pouvez-vous nous donner un exemple de mission où il a été particulièrement difficile de se faire accepter ?

La République centrafricaine, au début de l’année 2014, fut un terrain d’intervention difficile. Après le départ du pouvoir de la Séléka, la communauté musulmane fut attaquée par les milices anti-balaka (en représailles aux violences précédentes faites par la Séléka sur les communautés chrétiennes) et les relations entre chrétiens et musulmans se sont rapidement détériorées. Des équipes d’ACF se sont retrouvées au milieu de violences entre ces deux groupes et ont été prises à partie. Nous aidions sans distinction religieuse ou politique, tout le monde pouvait bénéficier de notre aide mais l’on nous demandait parfois de prendre position, ce qui n’est pas notre rôle.

Comment arbitrer impératif d’aider et impératifs de sécurité ? Peut-on prendre plus de risques si des vies sont en danger ?

L’équilibre entre volonté d’agir pour aider et impératifs de sécurité est souvent difficile à trouver et n’est jamais fixé à l’avance. Mais si une intervention peut permettre de sauver des vies, de nombreux acteurs humanitaires sont prêts à prendre plus de risques. Cette décision d’intervenir malgré un environnement sécuritaire précaire se juge sur le moment et en fonction des garanties que les différentes parties prenantes peuvent nous fournir que l’on pourra atteindre les populations sans être directement menacés.

L’ultime recours reste la possibilité de demander l’appui d’escortes armées. Pour ACF, cette décision lourde de conséquences est prise au siège et est vivement débattue par les équipes sur le terrain et à Paris. Recourir à des gardes armés n’est pas la meilleure solution car être protégé par des armes c’est accroître les risques d’être pris pour cible. Nous mesurons également l’impact négatif que cela pourrait avoir pour les populations bénéficiaires de l’aide.

Doit-on accepter de dialoguer avec un groupe terroriste afin de pouvoir répondre aux besoins urgents de populations en difficultés  ?

Un groupe terroriste est une menace dans l’absolu. Cependant, un groupe dit terroriste peut aussi collaborer avec des ONG si ces dernières apportent une aide humanitaire vitale pour les populations qu’ils administrent.

La majorité des ONG internationales aident sans distinctions politiques ou religieuses.ACF et de nombreuses autres ONG entretiennent un dialogue avec toutes les parties prenantes en cas de crise humanitaire.

Quel est l’impact de la propagation du virus Ebola sur la situation sécuritaire des humanitaires travaillant dans les pays touchés ?

Ebola est une crise d’un type nouveau. Le virus fragilise grandement les structures sanitaires préexistantes et les Etats instaurent des zones de quarantaines et des couvre-feux. Ceci entraîne une restriction des déplacements internes et internationaux. Les systèmes économiques des pays concernés par Ebola s’en retrouvent perturbés ce qui accentue les tensions sociales. Ces tensions peuvent s’exprimer à travers des manifestations, des mouvements de panique mais aussi des violences contre les humanitaires. Ainsi, à Womé, en Guinée, huit membres d’une équipe de sensibilisation se sont fait lynchés par des villageois effrayés qui les avaient accusés de venir propager le virus.

Le fait que la France intervienne militairement en Irak va-t-il compliquer le travail des ONG françaises sur place ?

Il est souvent difficile pour une ONG perçue comme occidentale de se démarquer des gouvernements nationaux engagés militairement d’autant plus que ceux-ci recourent de plus en plus à des programmes combinant action humanitaire et intervention armée. Les frappes aériennes de la France entraineront sûrement des confusions par certains groupes. Ce fut déjà le cas lors de l’intervention Sangaris en République Centrafricaine qui a commencé en décembre 2013. ACF a du activement communiquer afin de bien expliquer que ses travailleurs n’étaient pas liés aux militaires français.

Anne-Céline Okonta est chargée de sécurité des missions à Action Contre la Faim (ACF). Avant de rejoindre ACF, Anne-Céline Okonta a travaillé de nombreuses années avec le Comité International de la Croix Rouge et d’autres ONGs (Première Urgence, Solidarités International) en Afrique (Soudan, Guinée, Congo) et au Moyen-Orient (Territoires Palestiniens).

Photo: Clinique mobile d’Action Contre la Faim en RCA. Photo de ACF.