par Solange Harpham

À l’heure où la Hongrie érige une clôture de 175 km et bloque les lignes ferroviaires pour transporter les migrants dans des « camps d’accueil », à l’heure où certains discours politiques prônent toujours plus la fermeture des frontières devant un « tsunami » de migrants, on peut se demander quelle serait l’efficacité d’une telle solution et s’interroger sur la logique qui sous-tend ces propos.  

Si l’on s’intéresse de plus près au langage utilisé, la distinction entre migrants et réfugiés pose un certain nombre de questions. L’afflux de migrants – personnes qui désirent s’établirent dans un autre pays que le leur pour un an ou plus – est aujourd’hui majoritairement alimenté par des réfugiés – personnes qui ont été persécutées ou craignent d’être persécutées et fuient donc leur pays. Cela s’appliquerait aux personnes venant de pays déchirés par la guerre tels que la Syrie ou l’Irak, ou de pays aux régimes totalitaires tels que l’Erythrée.

 Lorsque cette distinction est faite, le discours politique d’aujourd’hui tend à vouloir montrer clémence envers les réfugiés et intransigeance envers les « migrants économiques » qui viendraient “voler le travail” des nationaux.

 Ce mythe souvent entendu et répété est bien un phantasme qui se heurte à l’une des plus élémentaires réalités économiques. Le nombre d’emplois n’étant pas fixe, des emplois se créent ou disparaissent ; ils sont en fluctuation permanente. Un nombre plus élevé de migrants crée nécessairement de l’emploi puisque ces migrants vont dépenser leur argent pour payer leur loyer, manger, se faire couper les cheveux, s’acheter des téléphones etc. Se créeront donc nécessairement plus d’emplois pour construire et vendre des appartements, ouvrir des restaurants, livrer la nourriture, ouvrir des salons de coiffure et ainsi de suite.

 Bien au contraire, les migrants quels qu’ils soient sont un apport économique pour l’Europe. Selon de nombreuses enquêtes, ils apporteraient un impact économique positif non négligeable : que ce soit en occupant les postes dont les nationaux ne veulent pas, en assurant les prix bas de nombreux produits par leurs salaires peu élevés, en contribuant à la consommation et par conséquent à la bonne marche de l’économie, en payant leurs impôts et donc en assurant les retraites des plus âgés et ainsi de suite.

 La logique voudrait donc que l’on ouvre un peu plus les frontières au lieu de les fermer, que ce soit aux réfugiés ou aux migrants économiques – d’autant plus que la distinction entre ceux-ci n’est pas toujours claire. Comme l’explique Catherine Wihtol, directrice du CNRS, la différence entre réfugiés et migrants est peut-être plus illusoire qu’elle ne peut le paraître au premier abord : un réfugié doit prouver qu’il a été persécuté ou menacé d’être persécuté à titre individuel pour accéder au statut de réfugié. Or, certains fuient tout simplement un pays où règne l’insécurité, la famine ou encore une grande misère. Ne sont-ils pas tout autant des réfugiés? Ne faudrait-il pas les accueillir avec la même compassion, connaissant le voyage long et éprouvant qu’ils ont effectué?

 C’est précisément au regard de ces voyages dangereux et parfois mortels aux mains de passeurs peu recommandables, que la fermeture des frontières parait  absurde. La majorité des migrants effectuant ce voyage connaît les risques qui s’y associent. La méditerranée –  la mer de la mort  –  aurait déjà englouti plus de 3000 personnes depuis janvier. Ces personnes désespérées, prêtes à affronter les plus grands risques pour fuir leur pays, que ce soit les embarcations insalubres ou les gardes frontières sommés de tirer à vue, ne s’arrêteront sûrement pas à une frontière qu’elle soit fermée ou non. Au contraire, plus la sûreté et les murailles autour du pays désiré seront grandes, plus ils choisiront d’emprunter des chemins dangereux et risqués pour les franchir; voyager dans des soutes d’avions par exemple. La fermeture des frontières renforcerait également l’utilisation des passeurs pour entrer clandestinement. Il ne faut pas sous estimer la force du désespoir et plutôt comprendre que plus nous sèmerons d’obstacles sur leur chemin, plus il y aura de morts.

Au lieu d’admettre l’apport économique et culturel des migrants, au lieu d’expliquer les phénomènes d’immigration et tenter de comprendre comment les intégrer au mieux dans nos sociétés, nous mettons toutes les restrictions et tous les obstacles possibles sur leur passage pour ensuite fermer les yeux sur les traumatismes de leur vécu et de leur voyage. La clôture en Hongrie ne sera pas efficace, la main tendue d’Angela Merkel vers les réfugiés le sera plus. Mais au-delà des gestes politiques et des émotions que le sujet peut soulever, c’est l’ouverture d’un dialogue sain et constructif sur l’immigration qu’il nous faut aujourd’hui.

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