Ndeye Aminata dia (N.A.A.D)

Najaf Sultana a 5 ans. Dans son Lahore natal, ville pakistanaise située sur les rives de la rivière Ravi, la petite fille dort. Tranquillement, son sommeil est bercé par les échos mélodieux des eaux riveraines. Au Pakistan, la chaleur du mois de juillet bat son plein et frappe de plein fouet les populations. Mais rien ne semble perturber le sommeil de la jeune Najaf, qui, entre deux respirations se retourne de temps à autre. Rien, sauf la soudaine sensation de chaleur intense qui l’envahit tout d’un coup. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Elle a tellement chaud qu’elle sent sa peau lui glisser entre les doigts. Elle se lève, crie, court et se heurte violemment aux murs de la pièce dont le contact lui fait ressentir cette nouvelle chaleur avec encore plus de puissance. Najaf ne voit plus rien. Du noir, elle ne voit que du noir. Une sensation de brûlure intense et indescriptible envahit son corps en souffrance et ne la quitte plus. Où est sa mère ? Où est son père ? Elle se sent vaciller, tient son visage et arrache sa peau décomposée de ses petites mains impuissantes.

Najaf Sultana a 5 ans. Elle n’oubliera jamais cette nuit de juillet 2008 où son père a attendu qu’elle s’endorme profondément pour asperger son visage d’acide. Il l’avait regardée par la suite se démener seule contre le liquide en flamme car l’homme ne voulait plus d’une fille supplémentaire dans sa famille. Aujourd’hui, abandonnée par son père et sa mère, Najaf a 16 ans. Elle a survécu. Mais son visage, raconte encore, à lui seul, la brûlure qu’elle a subie dans sa chair.

Image : Omer Wazir, Flickr CC. License available here.

Image : Omer Wazir, Flickr CC. License available here.

L’histoire de Najaf Sultana est un grain de sable dans le désert du supplice que subissent les femmes pakistanaises. Le Pakistan est en tête de liste des crimes d’attaques à l’acide sur les femmes. En fait, près de 150 incidents de l’acide attaques ont lieu chaque année au Pakistan, dont environ 50 se produisent dans le seul Baloutchistan. L’acide utilisé par les agresseurs est de l’acide nitrique ou sulfurique concentré. La majeure partie de ces agressions relèvent de crimes d’honneur perpétrés suite au  mécontentement des familles vis-à-vis de la conduite des femmes concernées (refus de mariage, désir de divorce, ambitions professionnelles élevées, progéniture féminine…), les victimes sont le plus souvent abandonnées à leur sort et bannies de leur famille. Toute volonté meurt en ces femmes sauf une qu’elles nourrissent ardemment au fond de leur cœurs meurtris : mourir pour de bon.

Le soutien des associations en place, leur renaissance

Face à l’impunité et la fréquence de ces crimes, des personnes et des associations se mobilisent pour assurer le traitement et la prise en charge des victimes d’attaque à l’acide.

Le  National Burns Center a vu le jour dans ce sens pour « reconstituer » les personnes brûlées. C’est un bâtiment isolé, situé au bout d’une route déserte d’une banlieue paisible et fleurie proche de Bombay et de ses 20 millions d’habitants. L’hôpital fait figure, dès qu’on s’en approche, d’un véritable havre de paix. Ouvert en 2009 par un chirurgien militant, Sunil Keswani et son père, cet hôpital accueille les grands brûlés venant de toute l’Inde et bien au-delà, de la sous-région.

C’est en effet le seul centre de toute l’Asie du Sud à détenir et alimenter une banque de peau, et donc à pouvoir réaliser des greffes urgentes et vitales pour ces accidentés.

De nombreuses organisations et associations militent également dans le sens de Sunil Keswani. Stop Acid Attacks, basée dans le nord de New Dehli en Inde, lance des campagnes sur les réseaux sociaux pour dénoncer la barbarie des attaques à l’acide. « Notre but a toujours été de sensibiliser l’opinion publique, de faire en sorte que les consciences s’éveillent », commente Alok Dikshit, président du groupe. « Il faut aider les victimes à parler pour poursuivre ce combat encore plus loin », ajoute-t-il. De même que Acid Survivors Foundation qui a été formée quant à elle, pour réduire puis finalement éliminer les attaques acides au Bangladesh.

Tous ces collectifs œuvrent à sensibiliser l’opinion bangladaise et mondiale à la cause des victimes pour que se casse enfin le tabou et la gêne qui entourent la société bangladaise sur cette question.

Le combat de la reconnaissance judiciaire, une exigence

Obtenir la condamnation d’un agresseur coupable de jet d’acide demeure très hypothétique au Bangladesh. Sous la pression des médias et des organisations bangladaises et internationales, de nouvelles lois répriment très sévèrement ces agressions et raccourcissent la procédure pénale. De bonnes enquêtes menant à des preuves de culpabilité sont cependant rares. Policiers, juges et magistrats sont facilement corruptibles et souvent peu motivés pour aller au fond des choses.

Les associations estiment qu’en Inde, chaque semaine, trois femmes sont victimes d’attaque à l’acide. Un crime en général perpétré par des amoureux éconduits ou jaloux. Suite à l’énorme révolte populaire qui s’est soulevée en Inde contre les violences faites aux femmes cette année, le parlement indien a récemment référencé ce type de crime, qui est maintenant passible de 10 ans de prison minimum. La Cour suprême a de même publié une directive en juillet qui obligera les vendeurs d’acide à déclarer leur stock et enregistrer l’identité des acheteurs. Mais son application sur le terrain est encore floue et l’efficacité sur le long terme s’avère douteuse, selon ces mêmes associations.

La route est longue. Tout au long du chemin obscurci, que traversent, esseulées et déboussolées, toutes ces femmes brûlées et détruites, le mal qu’elles ont subi revient les hanter. Les souvenirs s’amoncellent et tentent d’effacer une vie avortée qu’elles ne se sont pas choisie. La véritable construction commence alors véritablement à ce moment de leur vie où elles démissionnent de la vie elle-même. Le véritable combat est alors livré, pour une prise de conscience, une sortie du silence, une renaissance. Les femmes qu’elles sont, peuvent alors s’accepter, s’assumer et aspirer à la réalisation de  toutes ces ambitions inavouées, contenues, bafouées. Toutes ces ambitions assassinées, qu’elles se battent pour libérer.

Featured Image Credit: Natasha d. H, Flickr CC. License available here.